Source : Nouvelobs.com
La plaidoirie très controversée de Thomas Bidnic, avocat de Christophe M., faisait encore causer ce mardi en salle d’audience. « Même les accusés dans le box ont réagi et trouvé déplacée son intervention », a confié un avocat de la défense. Un autre s’est demandé « pourquoi au fond il a accepté de prendre la défense de Christophe M. dont il n’a quasiment pas parlé dans sa plaidoirie ». Et même du côté des parties civiles, certains conseils ont déclaré ne « pas cautionner les propos et accusations à l’encontre de l’avocat général » tenus par maître Thomas Bidnic.
Si bien que maître Arnaud Miel, avocat de Samir A.A, a commencé sa plaidoirie ainsi : « Je vais dire ce que beaucoup ont pensé hier ». Que maître Thomas Bidnic s’était livré à des attaques personnelles contre l’avocat général Philippe Bilger, qu’ainsi il était sorti de son rôle. Me Miel a insisté, les avocats ne sont pas là pour ça, mais bien pour assurer la défense de leur client. Ici, Samir A.A, trop souvent présenté comme le second chef, le deuxième boss, a déploré l’avocat. Arnaud Miel a décrit un système, une organisation, qui n’avait rien d’une hiérarchie pyramidale, qui ressemblait plutôt à un agrégat de cellules autonomes.
Enfin, l’avocat a demandé à la cour de « ne pas juger son client à cause de sa sale gueule ».
Françoise Cotta, avocate de Gilles S., le gardien d’immeuble de la rue Prokofiev, a quant à elle commencé sa plaidoirie en donnant lecture d’extraits d’une lettre de son client. L’écriture d’un enfant de sept ans, pour dire les maux d’un type de 40 ans : « Je suis né le 25 janvier 1967, j’ai ête élever par ma grand-mère la mère de mon père. J’avais ma grand-mère et mon grand-père son deuxième marie et mon frère (…). J’ai perdu mon grand-père a 5 ans donque ma grand-mère nous a garder moi et mon frère toute seule. Je suis allez à l’école jusqua la classe de CM2. J’ai redoubler le CP (…) par ce que je pensez à mon grand-père qui ête plus la, et qu’en je voyer mes copins qui eu avais une maman a la sortie de l’école et moi qui rentré avec mon frère une fois mon frère ma demander gilles pour cois nos copins on une maman et un papa et pas nous je ne sais plut se que j’ai dit à mon frère. Je me rappelle que javais demander a ma grand-mère, mami pour qu’oi nous on a pas une maman et un papa elle ma répondu vous avez un papa m’ai pa de mère. J’ai vue mon père la premier fois a lage de 6 ou 7 ans (…) je me souvien que javais demander a mon papa, papa pourqu’oi Maurice et moi on vie pas avec toi il nous a dit il na pas de place dans son appartement. »
Et l’avocate a dit aux jurés qu’il doit répondre à une liste de 12 questions, en plus de celles qui lui sont déjà posées :
«Un, Gilles S. est-il antisémite ? Vous répondrez que non, car il en crève qu’on puisse penser que oui. Il en crève. » L’avocate a expliqué qu’il y a avait une personne dans le box habitée par « la bête immonde de l’antisémitisme », Youssouf Fofana. Que les autres, quant à eux, « ne savent même pas ce que c’est », être antisémites.
« Deux, connaît-il Youssouf Fofana et la bête immonde qui sommeille en lui ? Vous répondrez que non, parce qu’il en crève. » Gilles S. ne peut pas comprendre qu’on dise de Youssouf Fofana, qu’il est « un type intelligent, alors qu’il a fait ce qu’il a fait », a expliqué Me Françoise Cotta.
« Trois, connaît-il sa réputation et les théories de son ami Dieudonné ? Vous répondrez que non, parce qu’il en crève. » L’avocate a ajouté que son client était désespéré d’être éclaboussé par l’antisémitisme de Youssouf Fofana.
« Quatre, qui connaît-il dans le box ? Samir, c’est tout, et personne d’autre. » Et quand Gilles S. est devenu ami avec Samir, il était content. Samir était le seul à l’inviter à prendre un café chez lui. Grâce à cette amitié là, on ne l’embêtait pas dans la cité.
« Cinq, Gilles savait-il qui était séquestré, comment et pourquoi ? Vous répondrez que non. »
« Six, Gilles S. est-il lâche ? Oui, il le sait, alors vous répondrez que oui. » L’avocate a dit que son client avait baissé ses pantalons, toute sa vie, comme on l’y avait forcé dans son enfance.
Les jurés devront aussi répondre à la question sept, « aimeriez-vous être gardien de cité, comme Gilles S ? » Celui qu’on appelle quand les toilettes sont bouchées, quand les vide-ordures s’encombrent, quand des tranches de jambon tombent des balcons, quand les poubelles sont pleines. Celui qui gagne 900 euros par mois, qui a vécu la misère et à qui on demande de faire régner l’ordre, rien que ça.
« Huit, feriez-vous vivre à votre enfant la vie imposée au petit Gilles S. ? Non » Parce qu’il y a eu ces viols répétés en foyer, quand Gilles S. était petit. C’est dans la lettre de Gilles S. : « je me suis fait agrése par deux ados de 16-17 ans il mon dis de faire ce qu’il dis de faire moi j’ai dis non et sais la un des deux ma mie un coup de cutteur au brat, et la deuxime fois ou j’ai dis non encorre non l’autre ma mie un coup de couteau a la main apret je fesait tout ce qu’il me diser de faire et si j’en parler au éducateurs il me ferai pire que ça alor j’ai fais se qu’il me diser de faire, je devait les touchers et la mètre dans ma bouche »
Neuf, « fallait-il se moquer de cet expert qui a osé vous parler d’atténuation de responsabilité ? Vous répondrez que non, mais que oui, on veut comprendre sa vie et pourquoi il était en quelque sorte prédestiné ». Celui qui est venu dire à la barre que Gilles S. était quasiment en pilotage automatique, tant son histoire de misère, d’abandon, de douleurs, l’a programmé pour toujours.
« Dix, faut-il alors condamner Gilles S. et lui permettre d’être rapidement libéré parce que oui, il y a une forte atténuation de sa responsabilité ? La réponse est oui ». Gilles S. a des projets, a assuré son avocate. Il veut s’occuper de personnes âgées, de sa fille, de sa petite-fille. Il dit même que le fait de n’avoir pas eu le courage à l’époque d’appeler, de dénoncer, d’en avoir pris conscience pour toujours, fait qu’il paye.
« Onze, Est-ce que Gilles S. doit payer pour la lâcheté qui est la sienne, est-ce que ça vaut qu’il mette un terme à sa vie ? Là, je n’ai pas de réponse, c’est à lui seul de la trouver. » Gilles S. a commencé le procès drogué, shooté aux médicaments, il le termine en ayant réduit les doses, parce qu’il s’est redressé pendant l’audience, parce qu’il a retrouvé un courage, une force, celle qu’il doit à tous, à la mémoire de la victime, à ses proches, à tous.
« Douze, Gilles S. est-il complice pour avoir sciemment participé à un enlèvement, une séquestration, avec actes de tortures et de barbarie ? Vous répondrez que non ».
Et Françoise Cotta a fini en appelant les jurés à répondre à la lâcheté de son client par un courage extrême. Car à l’inverse des accusés, il faut que les jurés soient des héros, a-t-elle précisé. « Rendez donc la décision que vous devez rendre », a ajouté l’avocate, s’engageant ensuite à communiquer pour défendre l’idée que ce procès n’était pas « la haine des territoires occupés ». Car, « si on amalgame Youssouf Fofana et les autres dans le box, alors c’est le procès qu’on instrumentalise », a conclut Me Françoise Cotta.
A la fin de cette plaidoirie, une jurée a pleuré. Et, selon une source proche de l’intéressé, Gilles S. aurait demandé à son avocate : « C’est bien ce que vous avez dit sur moi. Maintenant, comment je dois faire pour arrêter mon traitement ? »
L’avocat de Nabil M., Maître Didier Seban, a quant à lui débuté sa plaidoirie sur une citation de la Bible au peuple d’Israël avant son entrée en terre promise. C’était, a-t-il expliqué, la condition de la civilisation, ce souci d’instaurer des tribunaux qui diront le droit. La cour d’Assises est un de ces lieux, où se joue un conflit entre des intérêts contradictoires. L’avocat Didier Seban a raconté avoir souvent été du côté des victimes. A ce titre, il sait la volonté qui les anime de connaître la vérité, de punir le coupable. Il sait aussi qu’elles finissent toujours renvoyées à leur profonde solitude, après les procès.
Et Maître Didier Seban a tenu à rendre hommage à l’avocat général, Philippe Bilger. Même s’il n’est pas toujours d’accord avec lui, l’avocat lui a dit ne pas supporter la remise en cause dont il a fait l’objet, la veille, au cours de la plaidoirie de Me Thomas Bidnic.
Ilan Halimi est mort le 13 février 2006. Nabil M. a été interpellé le 17 février 2006. L’avocat a évoqué la mère de son client, la mère d’Ilan Halimi à qui rien ni personne ne ramènera son fils. Il a raconté combien la mère de Nabil M. se sent comptable de la douleur immense de Ruth Halimi.
C’était le 17 février 2006, les policiers sont arrivés à 6 heures du matin. Quand ils ont mis en l’air toute la bibliothèque des livres de cinéma de son mari journaliste, cette femme a compris pourquoi, depuis trois semaines à l’époque, son fils était abattu, silencieux.
Youssouf Fofana avait eu cette force, a expliqué l’avocat, de diviser les tâches, de choisir, d’utiliser des petites mains. Me Didier Seban a rappelé ce que Fofana avait dit à l’audience : « J’étais tellement aveuglé par mon objectif que les autres ne comptaient pas, je faisais des investissements ». Nabil était plus petit que les autres, maigrelet, un peu dénigré. Si Fofana le respectait, c’était bien pour lui. Il a accepté, il a eu le sentiment de devenir enfin quelqu’un, a continué l’avocat Didier Seban. Ainsi Nabil M. est-il tombé dans l’engrenage, et comme il l’a dit : « je me sentais piégé ». Si, contrairement à d’autres, il n’a pas su partir, c’est bien « parce qu’il était faible », selon Me Seban.
Alors, des tortures, oui, il y en a eu. Et la détention même en était une, a dit Me Didier Seban. Mais il a fait part de son expérience aussi : « J’ai connu d’autres sadiques qui jouissaient du malheur de leurs victimes. Les geôliers ne sont pas des Fourniret, des Emile Louis ».
Et puis l’avocat s’est tourné vers son client. Il lui a expliqué que son père avait eu raison de lui dire qu’il avait trahi ses valeurs, son prénom (qui signifie « chevaleresque, noble »). Il a ajouté que les geôliers n’avaient jamais pensé, ni même imaginé la mort d’Ilan Halimi. Puis il a demandé à la cour : « Si Youssouf Fofana avait fait ce qu’il avait dit qu’il ferait, c’est-à-dire libérer Ilan Halimi, quelle peine leur infligeriez vous ? »
L’avocat a écarté la question de l’antisémitisme en expliquant combien c’était contraire aux idées du père de Nabil M., qui est l’organisateur de la présence française au festival d’Alexandrie. Il a parlé de sa mère, catholique. De Nabil M., musulman. Et Seban a indiqué qu’il était lui-même juif, qu’il était dans le procès Touvier. Alors, selon lui, oui, la haine était bien dans le box des accusés ces deux derniers mois. Mais elle était du côté de Youssouf Fofana, du côté des bourreaux.
Enfin, pour pousser le jury a bien réfléchir, Maître Didier Seban a cité le président de la République sur l’était des prisons françaises, « une honte pour la République ». 6O suicides en un an, des détenus à trois dans une seule cellule, et un quart d’entre sujets à des troubles mentaux. « La prison échoue donc à réduire le crime, a dit l’avocat Didier Seban. Il faut peut-être substituer l’hypothèse que la prison a fort bien réussi à produire de la délinquance ».
Et maître Didier Seban s’est adressé à la cour qu’il sait « prise en tenaille » entre cette volonté d’être aux côtés des familles de victimes, et cette obligation de sanctionner des comportements qui doivent l’être en considérant les personnalités et avenirs de chacun des accusés. L’avocat a relu le serment des jurés. Et puis, il a demandé « un peine juste, une peine comprise, une peine qui tienne compte de la volonté de réinsertion de son client, une peine qui tienne compte des conditions de détention dans les prisons, une peine qui tiendrait compte du fait que Nabil M. n’a jamais été condamné auparavant ». Me Didier Seban a fini sur ces mots : « Tendez lui la main et ne rajoutez pas de la douleur à la douleur ».
Il est encore une plaidoirie qui a fait parler d’elle pour son « efficacité », celle de Romain Boulet, avocat de Jean-Christophe S. Il a démonté les faits dans l’affaire Douieb, faisant ainsi la démonstration que la culpabilité de son client ne pouvait être retenue.
Et maître Romain Boulet a voulu expliquer pourquoi son client n’avait pas « donné » les autres, ceux qui étaient avec lui le soir de l’enlèvement. Il a raconté l’importance de son silence, les véritables menaces qui pèsent sur sa vie, celles de ses proches. Il a rappelé aussi que son client avait attendu quelques jours, qu’il aurait pu fuir, mais qu’il a préféré affronter. C’est pour ça qu’il s’est rendu au commissariat. Seul.
Aux jurés, Me Romain Boulet a dit que, devant un tribunal correctionnel, son client aurait pris six-sept ans au plus pour un enlèvement et une séquestration. Mais il a déploré qu’à l’ombre de l’affaire Ilan Halimi, il n’y avait quasiment aucune chance d’être vraiment jugé pour ce qu’il a fait.
Aujourd’hui, mercredi, la parole sera aux accusés. Youssouf Fofana, qui refuse que ses avocats plaident, aura préparé quelque chose. Après ça, le jury se retirera pour délibérer. le verdict devrait finalement tomber vendredi soir.
P.S : Ce procès se tient à huis-clos. Aussi ce blog est-il écrit à partir d’informations recueillies, entre autres sources, auprès de personnes qui assistent à l’audience, et dont, bien entendu, nous taisons les noms.
WHO’S WHO ?
Maître Françoise Cotta, avocate de la défense
Elle a prêté serment en 1980, et s’est aussitôt investi dans le droit pénal. A propos de son engagement dans ce métier, elle répond ainsi : « Les experts, devant les tribunaux, disent souvent qu’on est très conditionné par son enfance, qu’elle est déterminante pour l’avenir d’une personne. Alors si je passais devant un cour un jour, si on se demandait pourquoi je suis devenue avocate, un expert dirait peut-être ça de moi, que mon enfance a été déterminante ». Pas un mot de plus. Mais une carrière. Françoise Cotta est l’avocate de Sami Naceri. Elle défend la plaignante au procès de Cheb Mami. Elle a participé au procès de Jean-Claude Bonnal, dit Le Chinois.
Au procès dit du « gang des barbares », Françoise Cotta est l’avocate de Gilles S., gardien d’immeuble. Après deux mois et demi d’audience, elle dit : « C’était une véritable salle de travail, ce procès a été tenu en mains de maître, par une présidente exemplaire qui n’a jamais défailli sur les droits de la défense, qui a toujours su rester juste, mais ferme ».
Maître Didier Seban, avocat de la défense
Didier Seban a prêté serment en 1981, « avec l’accession de François Mitterrand au pouvoir ». A l’époque, Didier Seban était président de l’UNEF. Il a pensé à faire l’ENA, mais il préférait sortir de du monde de l’engagement politique. Didier Seban « passer à autre chose ». Il est entré en stage chez le célèbre avocat Jean-Louis Pelletier, avant de s’installer à son compte à l’âge 26 ans. A force de passer son temps en prison, de trop souvent défendre des trafiquants de stupéfiants, l’avocat a fini par se recentrer sur le monde des collectivités, sans jamais tout à fait laisser tomber ses activités pénales. « Pour moi, il y a un lien entre la défense pénale et la défense du service public, explique-t-il. Le droit pénal est avant tout un droit de l’Etat, ce n’est pas un droit qui gère simplement les conflits entre les particuliers ». Didier Seban est l’un des avocats du MRAP, depuis 20 ans. Il a fait condamner Le Pen et Brigitte Bardot, il a participé au procès Touvier. Aujourd’hui à la tête d’un grand cabinet d’avocats parisien, Didier Seban a été l’avocat de la majorité des familles des jeunes filles disparues dans l’Yonne. Il a aussi représenté une partie civile au procès de Fourniret.
Au procès qui se termine dans quelques jours, il défend Nabil M., l’un des geôliers d’Ilan Halimi.
Elsa Vigoureux